Rachelle LE COSQUER

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Orthophoniste
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"Lire" : est-ce déchiffrer ou comprendre?

Roland Goigoux, auteur d’outils didactiques sur l’enseignement de la compréhension, réagit pour «Libé» aux évaluations du ministère sur le niveau de lecture des élèves, notamment de sixième.

Selon une évaluation du ministère de l’Education nationale, révélée ce lundi et réalisée auprès d’élèves de CP, CE1 et sixième, les retards constatés en français et en mathématiques après le premier confinement de 2020 ont été résorbés. Toutefois, Jean-Michel Blanquer confiait à nos confrères du Parisien «qu’une petite moitié d’élèves en difficulté» devait encore faire «l’objet d’efforts particuliers» en lecture, ne parvenant pas à atteindre le niveau «satisfaisant» au cours du test de fluence permettant de mesurer l’aisance de l’élève dans sa lecture d’un texte. Pour Roland Goigoux, professeur des universités et auteur d’outils didactiques sur l’enseignement de la compréhension, l’Education nationale se trompe de combat.

Les récentes évaluations scolaires menées auprès des sixièmes pointent qu’un peu plus de la moitié d’entre eux n’atteint pas le niveau «satisfaisant» au cours du test de fluence. En quoi consiste ce test ? Et qu’en pensez-vous ?

Le test de fluence, tel que l’Education nationale française le propose, est une évaluation du niveau de lecture des élèves selon deux critères : la vitesse et la précision. On oublie complètement l’expressivité ou la compréhension. Très clairement, on donne aux enfants à lire à haute voix un texte standardisé, qu’ils découvrent au moment de la lecture. Puis on relève le nombre de mots qu’ils ont su prononcer correctement en une minute, ce qui donne un indicateur de fluence. Mais cet indicateur n’est pertinent que si l’on considère que la lecture dépend seulement de la capacité des enfants à déchiffrer un texte. C’est ce que fait le ministère de l’Education nationale avec ces évaluations. On a renoncé à la compréhension, qui est pourtant la clé de tout. Le critère de qualité du déchiffrage est certes nécessaire, mais pas suffisant, il ne faut pas en faire un indicateur vedette. Quand on est professeur et que l’on veut que ses élèves apprennent une leçon, on leur demande de la lire. Mais pour que cette lecture soit efficace, il faut qu’ils comprennent.

Alors comment améliorer l’apprentissage de lecture chez les élèves de sixième ?

Cela suppose une tout autre pédagogie basée sur la qualité de la compréhension et c’est là que le ministère fait l’impasse. Il se trompe de cible. Par exemple, on utilise excessivement les questionnaires de lecture qui jugent le degré de compréhension des élèves par rapport à l’évaluation de l’enseignant, ce qui balise le parcours de lecture. Je pense qu’il faudrait remplacer cela par d’autres activités : de la reformulation, de la paraphrase. Lire, c’est traduire. Un enfant comprend un texte s’il arrive à le raconter à son tour, avec ses propres mots. Cela suppose d’aller chercher à comprendre entre les lignes, à faire parler les jeunes sur ce qu’ils perçoivent. Cela se travaille dès la maternelle, avec la lecture et l’explication de textes par des adultes, et cela pourrait également combler l’autre principale lacune des élèves : le manque de vocabulaire. Il ne suffit pas d’une leçon par semaine. Le vocabulaire de la langue écrite doit être une obsession incessante dans toutes les disciplines de l’école primaire.

Dans les établissements d’éducation prioritaire renforcée (REP +), soit ceux qui se situent dans les zones les plus défavorisées, seuls 40 % des sixièmes ont le niveau requis, et un tiers de ces élèves (33 %) possèdent un niveau de CE2, en lisant moins de 90 mots en une minute. Faut-il adapter cet apprentissage au niveau des différents élèves ? Et cet enseignement doit-il s’étendre au-delà du milieu scolaire ?

L’école française est championne du monde dans la reproduction d’inégalités sociales. Les enfants de milieux populaires disposent d’un champ lexical bien moins développé que ceux des classes moyennes. S’il existe de telles différences dans le niveau de lecture des élèves, elles sont liées aux pratiques familiales. Dans certains milieux, les parents passent énormément de temps à dialoguer, font argumenter les enfants, les placent comme témoins de tout, du matin au soir. D’autres familles ne le font pas du tout. Et c’est là qu’intervient l’école, qui doit jouer son rôle compensatoire. L’école n’aura jamais le temps nécessaire pour compenser les heures d’interaction avec la famille, mais il faut développer des techniques collectives pour compenser une partie des écarts et décalages. Il y a toute une série de techniques pédagogiques pour faire dans un temps limité ce que les familles savent très bien faire au bout d’un millier d’heures. Cela s’appelle la pédagogie. Mais il n’y a pas de pédagogie spéciale pour les enfants issus de quartiers défavorisés. Par contre, il y a une nécessité de donner plus à ceux qui ont le moins. Cela ne veut pas dire donner autre chose. Selon les enfants, on va plus ou moins vite, on étaye davantage. Il faut permettre à ces gamins de progresser. Si on va trop vite, ils peuvent se décourager car les autres font mieux, plus vite, et on va renforcer ce sentiment d’incompétence. Il faut faire attention au niveau initial, mais au fond la pédagogie doit être universelle.